- TCHÈQUE (LITTÉRATURE)
- TCHÈQUE (LITTÉRATURE)Expression d’une communauté de taille moyenne (dix millions d’âmes aujourd’hui) mal placée en Europe centrale, l’espace de liberté de la littérature tchèque a toujours été fonction de la situation générale des pays tchèques (Bohême, Moravie, Silésie); dans les circonstances dramatiques, elle dut même suppléer l’absence de porte-parole légitimes pour manifester sentiments et aspirations profondes de la nation.Son évolution est complexe et unique: elle éclôt au IXe siècle avec le vieux-slave, mais se sert rapidement du latin qui, dès la fin du XIIIe siècle, doit coexister avec la langue nationale; de plus, dès ce même XIIIe siècle, l’allemand arrive avec des colons, puis, à la suite de la défaite de la Montagne Blanche (1620), menace de l’emporter au XVIIIe siècle, mais disparaît finalement avec l’horreur du nazisme. Sur un autre plan, cette littérature d’un pays catholique devient, du XVe au début du XVIIe siècle, celle d’une nation à majorité hussite et protestante pour redevenir, vaincue par la Contre-Réforme, catholique.En permanence sur ses gardes, obligée de se défendre, ses réactions nationalistes sont corrigées et maîtrisées par l’esprit humaniste et universaliste de ses plus éminentes figures, tels Hus, Chel face="EU Caron" カický, Comenius, Dobrovský, Kollár, Havlí face="EU Caron" カek, Palacký, Masaryk, Šalda, Pato face="EU Caron" カka, face="EU Caron" アerný...Faut-il lui reprocher son penchant au « moralisme », son souci de la justice sociale, sa solide tradition populaire, conséquences du grand élan d’une religion authentiquement vécue et de la disparition prématurée, après 1620, de presque toute sa noblesse nationale et de ses couches aisées, victimes de la germanisation? L’épanouissement d’une poésie épique, la recherche de pures beautés formelles sont sans doute contrariés. En revanche, un rare souffle spirituel et métaphysique se révèle dans plusieurs œuvres du XIVe siècle, chez Comenius et dans la poésie de Bridel, Mácha, Vrchlický, B face="EU Caron" シezina, Hora, Zahradní face="EU Caron" カek, Palivec, Holan...Après onze siècles d’existence, les vicissitudes des dernières décennies semblent le confirmer: littérature et culture tchèques doivent continuer à assumer leur périlleux destin fait de bouleversements, d’incertitudes, de luttes, d’exils et de brefs moments de répit et de relative liberté...Débuts en vieux-slaveLe christianisme, introduit chez les Slaves de la Moravie et de la Slovaquie avant 800 et un peu plus tard en Bohême, n’a apparemment pas laissé trace d’activité littéraire en latin. C’est donc le « vieux-slave » qui devient la première langue littéraire avec l’écriture « glagolitique » élaborée (à la demande de Rastislav à Byzance) par Constantin-Cyrille, Grec de Salonique. En 863, avec son frère Méthode, ils apportent en Grande-Moravie les premières traductions qu’ils enrichissent avec leurs disciples: Évangiles (avec un singulier Prologue-Proglas rimé), prières, canons, chants, textes juridiques... Après la mort des deux apôtres (respectivement 869 et 885), une Vie de Cyrille et une Vie de Méthode, textes fondamentaux, sont composées par deux auteurs anonymes. Méthode disparu, Svatopluk, sous la pression du clergé latino-franc, chasse leurs disciples. La majeure partie d’entre eux fuit vers la Bulgarie, d’autres s’échappent en Croatie et en Bohême (témoin, un fragment de missel datant d’environ 900, conservé à Kiev).Les Tchèques de Bohême (les P face="EU Caron" シemyslides se séparent de la Grande-Moravie en 894) utilisent alors deux langues liturgiques, le latin et le vieux-slave. Celui-ci est la langue des premières légendes (env. 940) sur leurs martyrs: Vie de sainte Ludmila († 920) et Vie de saint Venceslas (duc, † 929). Vers l’an mille apparaît le plus ancien chant tchèque en vieux-slave, d’une longueur de 8 vers, Seigneur, aie pitié de nous! , qui se rapproche de la langue parlée. Au cours du XIe siècle, divers textes ou prières sont encore adaptés du latin (Fragments glagolitiques de Prague notamment). En 1097, le monastère de Sázava fondé par saint Procope, dernier foyer « slave » en Bohême, est occupé par les bénédictins « latins «: le bilinguisme liturgique et littéraire a alors vécu, le latin triomphe.Littérature latino-tchèqueLe latin trouve ses premières expressions originales dans la seconde moitié du Xe siècle (l’évêché de Prague est fondé en 973). Des légendes (inspirées des œuvres vieux-slaves) sont consacrées aux saints Venceslas et Ludmila. Avant l’an mille, c’est une magnifique légende, presque une chronique, Vita et passio sancti Venceslai et sanctae Ludmilae aviae eius : le moine Christianus (Kristián) s’y révèle un excellent styliste, défenseur du vieux-slave. Au siècle suivant, nouvelle légende de sainte Ludmila mais aussi les premières annales historiques, des écrits juridiques. Par ailleurs, les travaux des copistes sont rehaussés, comme en Occident, de splendides enluminures, tel le Codex de Vyšehrad exécuté pour le couronnement de Vratislav II en 1085.Le XIIe siècle apporte de nouvelles légendes, consacrées notamment aux saints Procope et Adalbert-Vojt face="EU Caron" ガch (deuxième évêque de Prague, ami de Gerbert d’Aurillac, de Mailleul de Cluny, pèlerin de Saint-Benoît, Saint-Denis, apôtre des Magyars et des Polonais, assassiné en 997), l’Homiliaire d’Opatovice , etc. Il est surtout marqué par deux œuvres: la Chronica Boëmorum de Kosmas (1045-1125), érudit doyen du chapitre de Prague, ancien étudiant de Prague et de Liège: narration vivante et variée, non sans quelques défauts et passions, elle est à l’origine de l’historiographie nationale (sa chronique a d’ailleurs quatre continuateurs). À la fin du siècle, l’Office de Saint-Georges enregistre la visitatio sepulchri représentée au couvent des bénédictines de Saint-Georges (fondé au Château de Prague vers 963): premier et précieux témoignage des « jeux liturgiques » de Pâques, variante intéressante et remarquée dans le développement du théâtre occidental.Envolée du tchèque littéraireDes environs de 1200 datent les trois premières strophes du second grand chant spirituel, Saint Venceslas, duc du pays de Bohême . Il est, pendant des siècles, chant national et symbole de l’État, aujourd’hui encore chanté avec ferveur.Le latin domine toujours dans les écrits, troublé quelque peu par la poésie des minnesingers allemands invités à la cour des derniers P face="EU Caron" シemyslides. Le parler tchèque – qui s’infiltre lentement dans les prières et certaines parties de l’Évangile – s’impose dès la seconde moitié du XIIIe siècle comme langue littéraire avec deux poésies spirituelles, la Chanson (dite) d’Ostrov , la Prière (sur l’Eucharistie) dite de Cunégonde .Tout au long du XIVe siècle, ce vieux-tchèque produit une impressionnante série d’œuvres de valeur. Des « adaptations », toutes remaniées, de thèmes occidentaux (surtout français): le vaste Roman d’Alexandre (env. 1300), épopée chevaleresque de « haut style », fortement actualisée et « bohémisée »; des cycles de légendes (Legenda aurea , etc.); les trois versions de la Dispute de l’âme et du corps ; la Farce de l’Herboriste (Masti face="EU Caron" カká face="EU Caron" シ , env. 1325 et 1350), scène caractéristique de l’évolution des « jeux liturgiques » de Pâques où se mêlent depuis peu latin et tchèque; la Légende de sainte Catherine (env. 1360), vrai chef-d’œuvre de poésie, de pensée et de mysticisme; Tristram et Isalda ; plusieurs recueils d’« exemples » (Gesta Romanorum , les Contes d’Olomouc d’origine locale), etc. Parmi les œuvres originales, citons la classique Chronique du dit Dalimil (début du siècle), de forme rimée et d’inspiration patriotique, qui devait être très copiée; la Légende de saint Procope , de nombreux poèmes didactiques, satiriques (Le Palefrenier et l’étudiant , etc.), allégoriques (Le Nouveau Conseil de Smil Flaška de Pardubice [† 1403]); des poèmes d’amour, jaillis du terroir ou reflet lointain de la poésie courtoise d’Occitanie, avec la plainte émouvante de la Chanson de Záviš ; enfin la dispute philosophique de Tkadle face="EU Caron" カek (Tisserand) avec la Malchance sur le libre arbitre, sommet de la prose tchèque du XIVe siècle.Il faut encore citer Tomáš de Štítné (env. 1333 – env. 1404). Ancien étudiant de l’université de Prague, il compose, compile, plusieurs recueils de traités, dialogues et discours sur les articles de la foi, leur application dans la vie. Sans être d’une grande originalité, ces écrits font de Tomáš un classique de la prose vieux-tchèque. De surcroît, il est l’un des premiers laïcs européens à oser traiter des sujets théologiques en langue nationale. La perfection de cet instrument est prouvée avec la traduction de l’ensemble de la Bible (env. 1370) par un groupe de savants (la troisième en Europe après les traductions française et italienne!). À remarquer encore que les Slovaques (incorporés à la Hongrie depuis le XIe s.) adoptent le tchèque comme langue littéraire et administrative.La littérature latino-tchèque reste toutefois vivace: genres religieux habituels mais également traités et sermons qui s’inscrivent dans le mouvement réformateur plus large (Jan Milí face="EU Caron" カ de Krom face="EU Caron" ガシí face="EU Caron" ゼ, etc.); floraison de chroniques (notamment celles du monastère royal de Zbraslav, de František de Prague, de Beneš de Weitmile, de P face="EU Caron" シibík Pulkava); vocabulaires et glossaires destinés aux étudiants de l’université de Prague, la première à l’est de Paris et au nord des Alpes, fondée en 1348 par le roi et empereur Charles IV (1316-1378). Lui-même mécène et lettré, il écrit en latin une légende du patron de la Bohême, saint Venceslas, et son Autobiographie .Époque hussite et posthussiteCe fulgurant développement littéraire et culturel, lié à l’essor du royaume sous le règne des Luxembourg, est interrompu par le mouvement hussite. Phénomène rare, une nation entière s’embrase pour réaliser la parole de Dieu sur terre, brave pendant quinze ans l’Europe catholique, mais finit par sombrer dans un affrontement fratricide entre radicaux et modérés (1434)! La primauté des questions religieuses, morales et aussi sociales et nationales, la rupture des relations avec l’Occident, ont des conséquences fâcheuses sur la littérature et les arts, même si le tchèque élargit son audience. Ce ne sont que traités, sermons, satires, parodies, disputes (par exemple, celle, célèbre, entre la Prague hussite et la Kutná Hora catholique), chansons spirituelles, de propagande ou de guerre (la plus fameuse en est Ceux qui sont les combattants de Dieu , notée dans le Cantionnaire [dit] de Jistebnice ). Le latin perd du terrain; se remarquent surtout les textes de Petr de Mlado face="EU Caron" ゴovice sur la mort, à Constance, de Jan Hus et de Jérôme de Prague, une chronique et un vaste poème par Vav face="EU Caron" シinec de B face="EU Caron" シezová sur la victoire de 1431, ainsi que des manifestes hussites envoyés en Occident.Deux personnalités incarnent au plus haut degré la spiritualité et une conception spécifique de l’Église, de la société, de la vie chrétienne « évangélique «: Jan Hus (1371-1415), principal inspirateur de la Réforme tchèque, maître et recteur de l’Université, éloquent prédicateur. Il rédige plusieurs traités théologiques en latin (notamment De ecclesia , 1413) et en tchèque; de surcroît remarquable styliste avec son recueil de « sermons littéraires » (Postilla , genre spécifiquement tchèque, très populaire), ses lettres d’un intérêt plus large que documentaire (Luther préfacera leur édition), il réforme l’orthographe et unifie la langue tchèque.Petr de Chel face="EU Caron" カice (env. 1390-1460), premier véritable philosophe tchèque, est un penseur de la non-violence. Il repousse le radicalisme taborite, revient à l’Évangile, au christianisme primitif: il rejette l’État, les arts, les tribunaux, le commerce, la guerre, la peine de mort... Outre une Postilla , il donne plusieurs traités (Filet de la vraie foi , etc.). Son enseignement (que Tolstoï découvrira avec surprise) est à la base de la première communauté (1457), puis de « l’Unité des Frères Bohêmes », petite Église qui marquera si profondément la culture et la conscience morale de la nation.Humanisme et RenaissanceEn attendant la réconciliation avec les lettres et les arts, l’Unité des Frères est, tout comme les hussites utraquistes, un élément retardataire dans l’éclosion de l’humanisme et de l’esprit de la Renaissance. Certes, des dizaines d’auteurs écrivent, versifient en latin (Jan de Rabštejn, l’érudit Bohuslav Hasištejnský de Lobkovice [† 1510], Jan Kampanus, etc.) ou en tchèque (le poète Hynek de Pod face="EU Caron" ガbrady [† 1492], le juriste Viktorin Kornel de Všehrdy [† 1520], etc.), mais la pression de l’esprit religieux et didactique freine l’épanouissement d’un lyrisme personnel ou naturiste. La littérature et l’édition connaissent cependant une abondante floraison, dominée par l’archiviste et l’évêque des Frères, Jan Blahoslav (1523-1571), auteur de nombreux traités théologiques, d’une nouvelle traduction du Nouveau Testament , d’une Grammaire tchèque , d’un ouvrage théorique Musica , coauteur et coéditeur d’un fondamental Cantionnaire (1561, 1564).La faveur des lecteurs va aussi aux chroniques, surtout à celle du prêtre patriotique et antihussite, Václav Hájek de Libo face="EU Caron" カany (1541), aux nombreuses relations de voyages au Proche-Orient (Prefát de Vlkanov, Harant de Pol face="EU Caron" ゼice...), aux innombrables livres de divertissement populaire. Un pasteur luthérien, Pavel Kyrmezer († 1589) écrit ou adapte plusieurs « comédies » bibliques pour le théâtre – dont les jésuites se servent par ailleurs habilement comme moyen de propagande.Ce XVIe siècle vit en même temps une extraordinaire expansion de l’imprimerie (introduite en Bohême vers 1470) et de l’édition (Daniel Adam de Veleslavín, etc.). L’œuvre majeure en demeure l’édition de la nouvelle traduction de la Bible, par un groupe de théologiens de l’Unité des Frères, à leur imprimerie de Moravie – d’où Bible de Kralice (en 6 volumes, 1579-1594): par ses qualités, elle restera longtemps, même en Slovaquie, modèle et norme de la langue littéraire.Baroque et « ténèbres »La défaite de la révolte des États tchèques à la Montagne Blanche (1620) bouleverse cette évolution: les conséquences, terribles pour le royaume, privé d’une bonne partie de sa noblesse, dépouillé de ses prérogatives par les Habsbourg, sont tragiques pour la littérature. Elle se scinde en deux branches: l’une, celle de l’exil, disparaîtra (sauf en Slovaquie), l’autre, celle de l’intérieur, aboutira à une situation critique vers le milieu du XVIIIe siècle.La population non catholique, majoritaire avant 1620, fuit une Contre-Réforme impitoyable. Parmi elle, de nombreux intellectuels et écrivains, dont Ji face="EU Caron" シí T face="EU Caron" シanovsky († 1637), réfugié en Slovaquie; il publie le recueil Cithara sanctorum. Chants spirituels anciens et nouveaux , réédité depuis 1636 plus de cent soixante-dix fois. Mais, au premier plan figure Jan Amos Komenský (Comenius, 1592-1670). Outre une œuvre pédagogique toujours vivante, un système de tout savoir humain, la pansophie, dont la finalité est l’harmonie universelle, Comenius écrit une belle allégorie, Le Labyrinthe du monde et le paradis de l’âme (1623), complétée par le Centre de sécurité ; après les déceptions de la paix de Westphalie, le dernier évêque des Frères publie Le Testament de l’Unité, mère mourante (1650), L’Unique nécessité (1668), un Recueil de cantiques (1659), chef-d’œuvre du genre tant cultivé par les Frères, des sermons, une autobiographie...Dans les pays tchèques, épuisés par l’exode et les ravages de la guerre de Trente ans (en 1648, la population a diminué de 40 p. 100), la littérature poursuit d’abord sur sa lancée d’avant 1620 et donne d’éclatantes fleurs de la poésie baroque: le compositeur Adam Michna d’Otradovice (1600-1676) imprègne ses trois recueils de chansons d’un érotisme spirituel; le jésuite Bed face="EU Caron" シich Bridel (1619-1680) touche les profondeurs mystiques dans un extraordinaire poème sur la vanité des choses terrestres Qu’est-ce que Dieu? Qu’est-ce que l’Homme? (1658); un autre jésuite patriote, fécond historien, Bohuslav Balbín (1621-1688), tente de défendre sa langue maternelle, mais son Dissertatio apologetica... ne peut paraître qu’un siècle plus tard (1775).En ces temps de la Contre-Réforme et du baroque (architectural, plastique, musical) triomphants, le tchèque, refoulé par l’allemand et le latin, privé de ses élites sociales, germanisées, ne reste vivant qu’au niveau populaire dans ses moyens respectifs: cantionnaires, « postillas », Bible dite de saint Venceslas, théâtre (surtout jésuite), livres de colportage. Pourtant, dans ce peuple des campagnes et des faubourgs naissent, anonymes, de nombreuses chansons, des légendes et des récits sur les héros des révoltes paysannes, sur le chef hussite face="EU Caron" ォi face="EU Caron" ゼka, sur les chevaliers de saint Venceslas qui libéreront un jour la patrie... Et des paysans lettrés consignent les événements qu’ils observent.Toute cette « littérature » populaire fait partie de l’histoire littéraire, d’autant que le siècle suivant va la recueillir et s’en inspirer. Sans elle, vers le milieu du XVIIIe siècle, la continuité de la littérature tchèque serait peut-être rompue.Renaissance nationaleVers 1775, s’amorce un sursaut national aux causes complexes. Réaction aux initiatives apparemment contradictoires de Marie-Thérèse et de Joseph II: d’une part des réformes religieuses, scolaires et surtout sociales avec l’Édit de tolérance et l’abolition du servage, de l’autre des efforts de centralisation administrative et de germanisation. Parallèlement s’opère la pénétration des idées « éclairées », allemandes (surtout Herder) ou françaises (Montesquieu, Voltaire, Rousseau, celles de la Révolution).Les éveilleurs ont fort à faire. Josef Dobrovský (1753-1829), savant grammairien, historien et critique littéraire, fondateur de la slavistique scientifique, écrit en latin et en allemand car il ne croit guère aux possibilités littéraires du tchèque. Il faut la vigoureuse impulsion de Josef Jungmann (1773-1847), avec ses écrits théoriques, ses excellentes traductions – celle d’Atala de Chateaubriand (1805) a un rôle capitale – et son Histoire de la littérature tchèque (1825) pour que s’enfle le mince courant de création.Obligés de résister à la présence germanique envahissante, en quête d’inspiration en Occident et dans l’Est slave, certains romantiques patriotes reprennent, eux aussi, l’idée de « faux » manuscrits pour démontrer l’ancienneté du passé culturel national: « découverts » effectivement en 1817-18, ils provoquent un bel enthousiasme... Le Slovaque Jan Kollár (1793-1852) avec sa Fille de Sláva (4 éditions de 1824 à 1852, toujours augmentées) est le chantre vénéré de l’avenir radieux des Slaves; toutefois, son essai sur la « solidarité slave » (1836) limite celle-ci au seul domaine culturel. František Ladislav face="EU Caron" アelakovský (1799-1852) recueille, assimile la forme et l’esprit des chansons populaires slaves pour en donner deux beaux recueils d’« échos » russes (1829) et tchèques (1839). De façon analogue, mais pénétrant le fond moral de cette création populaire, Karel Jaromír Erben (1811-1870) donne de saisissantes ballades dans son Bouquet (1853). Erben est aussi l’un des rares amis et défenseurs d’un des plus purs génies poétiques tchèques, Karel Hynek Mácha (1810-1836), dont le chef-d’œuvre demeure le long poème romantique Mai (1836), aux métaphores et aux contrastes suggestifs, à la musicalité sans pareille, à la résonance métaphysique et humaine désespérée. Tout différents sont les épigrammes et les poèmes satiriques de Karel Havlí face="EU Caron" カek (1821-1856), fondateur courageux du journalisme démocratique tchèque moderne; il fustige ses compatriotes patriotards ou panslaves fumeux mais surtout le régime habsbourgeois qui le déporte au Tyrol.Josef Kajetán Tyl (1808-1856) stimule par ses pièces historiques (sur Hus, face="EU Caron" ォi face="EU Caron" ゼka...) ou à contenu social et ses récits patriotiques. Le meilleur de la prose d’alors se trouve dans les recueils de contes de fées tchèques et slovaques et surtout dans les récits de la vie populaire de Bo face="EU Caron" ゼena N face="EU Caron" ガmcová (1820-1862). Son maître livre, la Grand-mère (1855), souvenir embelli, idéalisé de sa jeunesse, propose un beau et harmonieux type de femme du peuple tchèque, généreuse, lumineuse, forte de sa sagesse et de sa conviction religieuse. Modèle de style, telle est, enfin, l’œuvre du Michelet tchèque, František Palacký (1798-1876), en particulier sa monumentale Histoire de la nation tchèque dont la version tchèque commence à paraître en 1848. Lors des événements de cette année-là, il est spontanément reconnu comme porte-parole et chef politique de la nation.ÉmancipationLe « printemps des nations » réprimé, la vie politique et littéraire ne reprend que vers 1860. Sous le signe de Mácha, toute une génération – dite de « Mai » – tente de rejoindre l’horizon européen. Son animateur, Vít face="EU Caron" ガzslav Hálek (1835-1874) est un auteur facile et heureux. L’avenir lui préférera son ami Jan Neruda (1834-1891) qui s’impose par la langue sobre de ses recueils poétiques, de ses récits dominés par ses attachants Contes de Malá Strana (1878), toujours sans ride, de ses feuilletons culturels ou de voyage (Paris, 1863). Dans les proses de Karolina Sv face="EU Caron" ガtlá (1830-1899), les femmes obéissent aux impératifs moraux. Si, avec ses « romanettos » (Le Cerveau de Newton [1877], etc.), Jakub Arbes (1840-1914) invente la science-fiction tchèque, il marque aussi l’évolution du roman social.La génération qui prend la relève se scinde en une « école nationale » et une « école cosmopolite ». Svatopluk face="EU Caron" アech (1846-1912) exalte l’idée nationale et slave dans ses poèmes allégoriques et historiques, dans ses contes en vers patriotiques; ses Chants de l’esclave (1895) célèbrent la liberté et fouettent les énergies. Simultanément, plusieurs écrivains raniment la prose historique: leur chef de file, Alois Jirásek (1851-1930) fait revivre l’épopée hussite, les « ténèbres », la renaissance nationale.L’immense œuvre, originale et traduite, des « cosmopolites » met, enfin, les lettres tchèques au diapason de l’Europe occidentale. Outre ses poésies noblement intimistes, méditatives, patriotiques, Josef Václav Sládek (1845-1912) traduit remarquablement des Américains et des Anglais, dont presque tout Shakespeare. Le mystique solitaire et romantique attardé, Julius Zeyer (1841-1901), d’ascendance alsacienne, désire ardemment ressusciter, dans ses cycles épiques, les vertus médiévales d’honneur et de chevalerie tchèques (Vyšehrad , etc.), françaises (Épopée carolingienne ), celtes, provençales; des thèmes légendaires, historiques, animent ses pièces, récits et romans; Jan Maria Plohar (1891) laisse deviner son âme tourmentée. Enfin, Jaroslav Vrchlický (1853-1912) est l’un des plus grands, en tout cas le plus abondant et le plus varié des poètes tchèques. Ses Fragments d’épopée , cycle de plus de vingt recueils contemplatifs et philosophiques, s’inspirent de la Légende des siècles de Hugo, son modèle; ses traductions d’une vingtaine de langues, avant tout du français (son anthologie de 1877 fait date), ses innombrables articles et études littéraires parachèvent l’action émancipatrice des cosmopolites.La démarche analogue – l’occidentalisation de la pensée tchèque – est accomplie par le professeur Tomáš Garrigue Masaryk (1850-1937). En même temps, il contribue au rejet définitif des « faux » manuscrits, repense la « philosophie nationale » de Palacký, analyse le romantisme européen, Musset, Zola, Dostoïevski... L’étreinte germanique est brisée, l’esprit provincial repoussé.ÉpanouissementDeux traits frappent dans la génération qui monte au milieu des années 1890. D’une part, l’apparition d’une véritable critique avec František Xaver Šalda (1867-1937). En affinité avec l’esprit français, ce maximaliste sur le plan artistique et éthique, souverainement indépendant, incarne pendant plus de quarante ans la conscience des lettres tchèques et demeure leur référence primordiale.D’autre part, l’étonnante diversification de talents et de tendances. Josef Svatopluk Machar (1864-1942) se veut poète réaliste mais aussi politique et philosophique dans le cycle La Conscience des siècles , à l’exemple de Hugo et de Vrchlický. Autour de 1900, Petr Bezru face="EU Caron" カ (1867-1958) publie une série de poèmes réalistes et symbolistes, réunis ensuite dans son unique mais exceptionnel recueil des Chants de Silésie . Il y crie sa révolte contre l’oppression de son peuple du bassin industriel d’Ostrava alors que son cœur saigne d’un amour déçu. Autre est l’explosion des cinq recueils (1895-1901) jaillis de l’âme mystique du solitaire Otokar B face="EU Caron" シezina (1868-1929), qui prend place aux côtés des grands symbolistes européens. Le sensitif Antonín Sova (1864-1928) touche par son lyrisme impressionniste et méditatif, qui colore son rêve d’une humanité future fraternelle. Viktor Dyk (1877-1931) surmonte un scepticisme de fin de siècle et s’affirme un défenseur combatif de l’honneur national. Après des années de « vagabondages » (notamment en France), Karel Toman (1877-1946) revient aux hommes de sa terre natale pour qui il veut une société juste; il le dit avec une sobriété classique, dans la lignée de Neruda. Une simplicité toute franciscaine émane des vers de Jakub Deml (1878-1961), par ailleurs prosateur virulent à la Léon Bloy. L’adolescence et la jeunesse trouvent une résonance sensible dans les poèmes, les romans et les pièces de Frá face="EU Caron" ゴa Šrámek (1877-1952). Le non-conformiste Stanislav Kostka Neumann (1875-1947) est successivement « décadent », anarchiste, chantre de la nature et de la civilisation, puis propagateur du bolchevisme qu’il rejette en 1929 pour y revenir, pourfendre Halas et Gide...Cet éventail est à compléter par la descendance du naturalisme (Vilém Mrštík [1863-1912]; Karel Mat face="EU Caron" ガj face="EU Caron" アapek-Chod [1860-1927], peintre sans complaisance de divers milieux sociaux; Anna Maria Tilschová [1873-1957], analyste des milieux bourgeois, intellectuels et même ouvriers, etc.), par une lignée de narrateurs qui se penchent avec amour sur la vie populaire (K.V. Rais, A. Stašek, T. Nováková, J. Hole face="EU Caron" カek, J. Herben, J. Š. Baar...), enfin par des écrivains qui, écartant le naturalisme et le plat réalisme, se tournent vers l’analyse psychologique des êtres, telles les deux amies de Šalda, R face="EU Caron" ヅゼena Svobodová (1868-1920) mais surtout Bo face="EU Caron" ゼena Benešová (1873-1937); avec un style consommé et un profond sens éthique, elle donne, entre autres, un triptyque romanesque sur l’arrière pendant la Grande Guerre où les Tchèques attendent, espèrent et luttent pour leur libération.La tourmente mondiale ne laisse pas les écrivains inactifs: Dyk, Machar et Bezru face="EU Caron" カ connaissent la prison autrichienne; face="EU Caron" アapek, Dyk, Hanuš Jelínek traduisent la poésie française en signe de solidarité; le « Manifeste des écrivains » de mai 1917 réunit 222 signatures; en avril 1918, Jirásek lit le « Serment national » et, en décembre, dans Prague libérée, il accueille Masaryk, chef de la résistance extérieure. Plusieurs écrivains mobilisés, faits prisonniers ou déserteurs, entrent dans la « légion tchécoslovaque » en Russie.Rudolf Medek (1890-1940) en tire une épopée héroïque, légendaire: Anabase (5 vol., 1921-27). Josef Kopta (1894-1962) et František Langer (1888-1965; également l’un des premiers auteurs dramatiques de l’entre-deux-guerres) mettent dans leurs témoignages plus de réalisme et de psychologie. Jaroslav Hašek (1883-1923), transfuge de la « légion » à l’Armée rouge, écrit l’extraordinaire chef-d’œuvre des aventures du Brave soldat Chvéïk (Švejk , 1921-1923), devenu type universel de résistant très particulier à la machine militaire, bureaucratique, broyeuse des hommes. Šrámek, Karel Konrád (1889-1957), face="EU Caron" アestmír Je face="EU Caron" シábek (1893-1981) témoignent des sentiments des soldats tchèques enrôlés dans l’armée autrichienne, et Vladislav Van face="EU Caron" カura (1891-1942) fait paraître un roman violemment antimilitariste, Champs de labour et de guerre (1925).En pleine libertéAlors que s’écrit ce chapitre de « littérature de guerre et de libération », la vie intellectuelle et artistique évolue dans le climat d’une démocratie libérale, pluraliste, tolérante.Šalda reste le maître incontesté, sévère, stimulant, ouvert, de la critique; le traditionaliste Arne Novák (1888-1939) domine l’histoire littéraire; le théoricien Karel Teige (1900-1951) anime plusieurs mouvements (Association Dev face="EU Caron" ガtsil, poésie « prolétarienne », « poétisme », surréalisme); Jan Muka face="EU Caron" シovský (1891-1975) élabore un « structuralisme littéraire », Roman Jakobson, venu de Russie, contribue grandement à la linguistique et à la poétique tchèque (École de Prague).La poésie « prolétarienne », d’inspiration révolutionnaire et marxiste, conduite par Ji face="EU Caron" シí Wolker (1900-1924), est de courte durée. Ses préoccupations sévères sont refoulées (1924) par un mouvement d’avant-garde, le « poétisme «: il affranchit les sens, l’imagination, incite au jeu, à la joie de vivre dans le monde moderne, et, en même temps, libère le langage. Inspirés surtout d’Apollinaire, ses chefs de file sont Jaroslav Seifert (1901-1986) et Vít face="EU Caron" ガzslav Nezval (1900-1958). Seifert trouve cependant, dès avant 1930, sa voie personnelle dans l’expression sensible des émotions, des joies et drames nationaux, des beautés de Prague, des évocations de Masaryk, de N face="EU Caron" ガmcová, de Mozart... Nezval, par contre, débouche logiquement sur le surréalisme (le groupe se constitue en 1934) pour rompre brutalement sur ordre de son parti (1938).Dégagé de son « prolétarisme » tout moral, Josef Hora (1891-1945) fait entendre une poésie de plus en plus intériorisée, cosmique, immergée dans le flux bergsonien du temps (Cordes au vent [1927], Variations sur Mácha [1936]). František Halas (1901-1949) profite de la leçon « poétiste », mais il ressent douloureusement l’anxiété de l’existence humaine de ces années trente (Le coq effraie la mort , 1930). Le pessimiste Vilém Závada (1905-1982) suit un itinéraire similaire. La vocation du mélancolique Vladimír Holan (1905-1980) le conduit à une méditation métaphysique portée par une recherche osée sur le plan lexical, syntaxique et formel (Antre des mots , titre commun de ses premiers recueils). Dans la lignée de B face="EU Caron" シezina, la spiritualité catholique retrouve sa haute expression avec Jan Zahradní face="EU Caron" カek (1905-1960).Si la poésie reste à l’honneur, incontestablement, la prose et le théâtre bénéficient plus encore des conditions nouvelles. Aux auteurs déjà cités – Hašek, Langer, Benešová, etc. –, d’autres s’ajoutent. Karel face="EU Caron" アapek (1890-1938), considéré à juste titre (non seulement pour son amitié avec Masaryk) comme l’écrivain qui symbolise la première République humaniste, délivre une œuvre variée, brillante, souvent originale; près de la moitié de ses romans et de ses pièces (certaines écrites avec son frère Josef) relèvent de la science-fiction et anticipent les problèmes angoissants de l’humanité (robots, énergie atomique, totalitarismes...). Tandis que face="EU Caron" アapek rapproche son expression du langage parlé, le catholique Jaroslav Durych (1886-1962) fait valoir son art de styliste baroquisant pour renouveler le roman historique (Errances , 1929). À partir du langage médiéval et de la Renaissance, Vladislav Van face="EU Caron" カura forge son propre style archaïsant, majestueux et lyrique (Jan Marhoul, le boulanger , 1924). À l’inverse de Van face="EU Caron" カura, l’art narratif de Ivan Olbracht (1882-1952) réside dans sa singulière pénétration psychologique de destins individuels (Nikola Šuhaj, le brigand , 1933). Marie Majerová (1882-1967) s’intéresse aux problèmes des femmes, à l’anarchisme, à l’utopie révolutionnaire, à la vie ouvrière (Sirène , 1935). Jan face="EU Caron" アep (1902-1974) nourrit ses proses d’une pure spiritualité (La Frontière de l’ombre , 1935). Proche de Kafka et de Dostoïevski, Egon Hostovský (1908-1973) sonde le psychisme des êtres marginaux (L’Incendiaire , 1935). Un cas à part reste Richard Weiner (1884-1937) qui, traumatisé par la guerre, plonge dans le subconscient et l’irrationnel. En outre, nombre d’auteurs sont sensibilisés aux problèmes sociaux nés de la dépression économique mondiale qui frappe durement les pays tchèques, très industrialisés. De même, les « ruralistes » (Josef Knap, etc.) tentent d’actualiser le traditionnel récit paysan.Occupation et LibérationDans l’atmosphère d’un pays écrasé par Munich, le démembrement et l’occupation nazie, les poètes – de Hora et Seifert à Halas, Holan et Zahradní face="EU Caron" カek – disent sobrement, avec dignité, les sentiments d’un peuple abandonné et piétiné, puis la recherche de nouvelles certitudes, de raisons d’espérer pour la nation et pour tous les hommes.L’occupant, n’ignorant point le traditionnel « refuge des Tchèques dans leur culture », met en prison ou déporte dans les camps de concentration des dizaines d’écrivains (Palivec, K. J. Beneš, Z. N face="EU Caron" ガme face="EU Caron" カek, F. Peroutka, E. F. Burian, V. face="EU Caron" アerný...) dont certains ne reviennent pas (Josef face="EU Caron" アapek, Karel Polá face="EU Caron" カek, B. Václavek...) alors que d’autres sont exécutés, tels Van face="EU Caron" カura, Hanuš Bonn, Julius Fu face="EU Caron" カík, etc.De nombreux écrivains partent en exil, surtout en Occident, tels Langer, Hostovský, A. Hoffmeister, J. Mucha, les auteurs-acteurs Ji face="EU Caron" シí Voskovec (1905-1981) et Jan Werich (1905-1980), animateurs d’avant-garde du fameux « Théâtre libéré » de Prague (1927-1938), etc.Cette période crépusculaire ne manque toutefois pas de relief: Josef Palivec (1886-1975), ami de Valéry, surprend par ses seuls trois longs poèmes métaphysiques et symbolistes, d’un rare hermétisme; le poète de l’angoisse existentielle et de l’aliénation reste Ji face="EU Caron" シí Orten (1919-1941, écrasé par une voiture allemande); tout proche, Kamil Bedná face="EU Caron" シ (1912-1972) et son groupe (Josef Hiršal, etc.) reviennent à « l’homme nu » pour retrouver les « valeurs éternelles »; une vision plus concrète de l’homme ordinaire, anonyme, mais qui décide du sort de l’histoire, se manifeste dans le « Groupe 42 », qui rassemble entre autres Ji face="EU Caron" シí Kolá face="EU Caron" シ (1914), Josef Kainar (1917-1971) ou Ivan Blatný (1919); plusieurs poètes catholiques – Josef Kostohryz (1907), Klement Bocho face="EU Caron" シák (1910-1981), Josef Rotrekl (1920) – parviennent à maturité; le drame du monde ne manque pas non plus de modifier l’évolution de František Hrubín (1910-1971; La Nuit de Job [1945], Hiroshima [1948]).Les prosateurs réagissent par un repli sur la psychologie, observé dans les romans de Jan Weiss (1892-1972), Marie Pujmanová (1893-1958), Václav face="EU Caron" エezá face="EU Caron" カ (1901-1956), Miroslav Hanuš (1907), Vladimír Neff (1909-1983), ou par le choix intentionnel de thèmes ou de personnages historiques, pratiqué par Van face="EU Caron" カura, Olbracht, Durych, Karel Schulz (1899-1943; Michel-Ange), František Ko face="EU Caron" ゼík (1909; Deburau)...À la Libération de 1945, dans la République rétablie, la vie littéraire, terriblement meurtrie, reprend. L’Occident, notamment la France (Sartre, Camus, Anouilh...), retrouve sa place habituelle. L’héritier de Šalda, le critique Václav face="EU Caron" アern face="EU Caron" セ (1905-1987) et sa revue sont à la pointe de la défense des positions libérales et socialistes à l’occidentale. Car la pression idéologique communiste devient réelle: elle prône le « réalisme socialiste » et « l’orientation à l’Est ». Néanmoins, tous les écrivains de la république masarykienne et tous les courants formés sous l’Occupation se manifestent, enrichis de nouveaux venus, enflammés souvent sincèrement pour la réalisation d’une plus grande justice sociale.Entre l’Occident et l’EstLa prise du pouvoir par les communistes en février 1948 réduit une littérature pluraliste à un instrument d’éducation du peuple pour une société « socialiste », coupée d’un Occident « condamné par l’histoire ». Ce cours dogmatique brutal (1948-1953) laisse place à un relatif dégel (1953-1958) qui, insuffisamment jugulé, débouche sur la libéralisation et le Printemps de Prague (1963-1968). L’occupation soviétique impose une pesante normalisation, marquée par l’acte de révolte de la Charte 77. Le régime totalitaire s’écroule lors de la « révolution de velours » (nov. 1989). Durant ces quarante et un ans, la vie littéraire évolue sur trois plans: officiel, avec des auteurs tolérés, parallèle (clandestin), en exil.Tous les critiques et théoriciens non conformistes éliminés (face="EU Caron" アerný, J. Chalupecký, les structuralistes...), les idéologues du réalisme socialiste L. Štoll, Z. Nejedlý... investissent la critique-censure. Sur la défensive dans les années 1960, les normalisateurs M. Blahynka, H. Hrzalová... reviennent avec un appareil théorique appauvri. Cependant, presque tous les jeunes critiques et analystes, souvent structuralistes, qui animent la libéralisation choisissent, après 1968, soit la clandestinité (M. face="EU Caron" アervenka, J. Lopatka, M. Jungmann, A. Stankovi face="EU Caron" カ, J. Brabec...), soit l’exil (K. Chvatík, L. Dole face="EU Caron" ゼel, S. Richterová...) où ils rejoignent les expatriés d’après 1948.Certains poètes exaltent la victoire du communisme: anciens avant-gardistes comme V. Nezval (Staline , 1949) et K. Biebl (1898-1951), ralliés tels que Kainar et, pour un temps, le jeune P. Kohout (né en 1928). Une première fronde, au nom d’un réalisme du quotidien, surgit avec le groupe de la revue Kv face="EU Caron" ガten (1955-1959). La jeune génération des années 1960, qui ignore l’idéologie, se disloque après 1968 entre l’illégalité et l’exil. De rares poètes rallient la génération de la normalisation, sous la houlette de K. Sýs et de M. face="EU Caron" アerník.La continuité profonde de la poésie tchèque est maintenue par les clandestins, les exilés. Jaroslav Seifert élève sa voix en 1956, signe en 1968 la Charte 77 et reste fidèle à sa veine intimiste, devenue existentielle (Être poète , 1983); il reçoit le prix Nobel 1984. Vladimir Holan s’enferme dans un silence assourdissant, sauf dans les années 1960 (Une nuit avec Hamlet , 1964). Le troisième poète phare, Jan Zahradní face="EU Caron" カek, alors en prison (La Maison Peur ), devient le symbole de tous les catholiques emprisonnés ou exclus. Ji face="EU Caron" シí Kolá face="EU Caron" シ publie tardivement, dans son exil parisien ses poésies, surtout « visuelles ». Les surréalistes, avec Teige, puis V. Effenberger, sont très actifs dans l’illégalité après 1948 et 1968. La poésie, officiellement condamnée, des disparus Halas et Orten, de l’emprisonné Palivec ou du « silencieux » Holan marque les débuts des méditatifs I. Diviš (né en 1924) et de J. Skácel (1922-1989), et surtout d’une grande partie de la génération des années 1960 (Z. Hejda, I. Wernisch, P. Kabeš, J. Zábrana, J. Kub face="EU Caron" ガna, P. Šrut, M. Topinka), tous passés dans la clandestinité après 1968. Nombre des débutants de la normalisation préfèrent également la liberté du samizdat. Il en est de même avec le fort courant de poésie underground, lié à la musique rock, dominé par E. Bondy (né en 1930), et avec les courants de folksong et protest song (K. Kryl, J. Hutka, K. T face="EU Caron" シeš face="EU Caron" ゴák).Toutes les tendances poétiques se manifestent en exil avec Blatný, J. Heisler, I. Jelínek, M. Sou face="EU Caron" カková... La vague d’après 1968 est plus forte, avec Diviš, Kolá face="EU Caron" シ, J. Vladislav, les membres de la génération des années 1960 tels A. Brousek, P. Král, I. Machulková.La prose appartient d’abord à ceux qui glorifient l’édification du socialisme (Pujmanová, face="EU Caron" エezá face="EU Caron" カ, J. Marek...) et à ceux qui réinterprètent le passé (M. V. Kratochvil...). Le doute et la déception s’emparent cependant des jeunes espoirs, J. Ot face="EU Caron" カenášek, I. K face="EU Caron" シí face="EU Caron" ゼ ou J. Procházka. Les auteurs tolérés se réfugient surtout dans les thèmes historiques, tels Neff, Ko face="EU Caron" ゼík, J. Loukotková, V. Erben. L’occupation du pays provoque également une formidable vague de romans historiques d’où émergent ceux du sceptique Šotola et du jeune V. Körner. Parmi d’autres, O. Pavel touche avec ses récits juifs, tandis que le jeune Z. Zapletal (né en 1951) traduit prudemment l’insatisfaction existentielle de ses contemporains des années 1980.La libéralisation des années 1960 permet une prise de conscience de certains prosateurs et l’émergence d’une jeune génération lucide. La reprise en mains après 1968 les rejette dans la dissidence ou les accule à l’exil. Les premiers, plus ou moins engagés, tirent les conséquences des promesses socialistes dénaturées: Kohout (passé à la dramaturgie et au roman), Jan Trefulka (né en 1929), Ludvík Vaculík (né en 1926; La Clef des songes , 1981, et aussi le plus efficace des éditeurs clandestins) et, surtout, Arnošt Lustig (né en 1926) et Ivan Klíma (né en 1931) ou, enfin, Milan Kundera (né en 1929; poète, dramaturge et romancier mondialement célèbre depuis La Plaisanterie , 1967).Parmi les non-engagés, le narrateur hors de pair Josef Škvorecký (né en 1924) fait sensation avec Les Lâches (1958), le premier des romans sur l’expérience de sa génération du nazisme au stalinisme. Bohumil Hrabal (1914-1997) peut enfin publier ses singuliers récits (Les Palabreurs , 1964), puis, en samizdat et à l’étranger, ses romans (Une trop bruyante solitude , 1983). À côté de J. Stránský, J. Beneš..., Karel Pecka (né en 1928) se révèle un grand témoin des victimes du stalinisme (Le Grand Solstice , 1968). A. Kliment et K. Sidon renouvellent la prose psychologique. J. Gruša ouvre de nouvelles voies au roman. V. Linhartová et I. Vysko face="EU Caron" カil innovent au niveau du langage. Seuls deux auteurs importants, L. Fuks et V. Páral, se plient à la normalisation. Lors de cette période, bien des débutants préfèrent, par contre, la liberté de la clandestinité, tels J. Kratochvil, I. Matoušek, P. Placák, Z. Brabcová, D. Hodrová ou V. Jamek (en français: Traité des courtes merveilles , 1989).La vague des exilés d’après 1948 comptait dans ses rangs le grand romancier Egon Hostovský (Conspiration générale , 1969), le catholique méditatif face="EU Caron" アep, les débutants J. M. Kolár, J. Kovtun... La vague d’après 1968 est plus nombreuse et significative: Škvorecký (aussi, avec sa femme romancière, le plus important éditeur d’auteurs exilés et du pays), Kundera, Lustig, Linhartová, Kohout, Gruša, Beneš, Sidon, O. Filip..., les débutants Richterová, J. K face="EU Caron" シesadlo, I. Kraus, J. Vejvoda.Le théâtre officiel, privé du répertoire moderne (face="EU Caron" アapek, Langer, Ren face="EU Caron" カ...) et occidental, présente des pièces éducatives et optimistes. Alors que la plupart des jeunes engagés – Kohout, V. Bla face="EU Caron" ゼek, F. Pavlí face="EU Caron" カek et surtout J. Topol – abandonnent peu à peu la norme idéologique, le renouveau s’esquisse, après 1955, avec les petites formes théâtrales (notamment J. Suchý, I. Vysko face="EU Caron" カil) qui raniment la tradition de l’ancien cabaret et du « Théâtre libéré ». Parallèlement, plusieurs poètes et prosateurs, tels Hrubín, Milan et Ludvík Kundera, Klíma, peuvent faire jouer leurs pièces. La libéralisation permet aussi les représentations des premières pièces de Václav Havel (né en 1936; La Fête en plein air , 1963) et de M. Uhde, créateurs de la variante tchèque du théâtre de l’absurde. La normalisation met fin à ce développement.Dans la situation difficile de l’exil, plusieurs auteurs-acteurs font valoir leur talent au cinéma, ou leur verve satirique à travers les radios libres. Après 1968, ils seront plus nombreux et plus actifs sur les scènes occidentales (Kundera, Kohout, A. Radok) et contribuent à la diffusion des pièces de Havel ou Klíma.Retour à la liberté et à l’EuropeLa longue période de dévastation culturelle terminée, le traumatisme sera long à se résorber. Un fait fondamental demeure: la part essentielle des lettres tchèques refusa l’idéologie totalitaire. C’est aussi cette part qui s’est largement imposée dans le monde libre. La première tâche, après la Libération de 1989, reste l’assimilation des œuvres de ces dissidents et exilés par une couche suffisante de lecteurs, tâche difficile aux temps de la transformation économique et sociale.
Encyclopédie Universelle. 2012.